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Le Court Central
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Tonnerre avant les Tropiques

Tonnerre avant les Tropiques

C'est officiel: pour la première fois de son Histoire, la Guadeloupe va accueillir une rencontre de Coupe Davis qui opposera la France au Canada (4-6 mars). Malheureusement, l'audace de ce choix est masqué par les dysfonctionnements logistiques autour de l'organisation de l'évènement. Un couac de plus qui s'ajoute aux nombreux remous qui entourent l'équipe de France et la FFT depuis l'année dernière: entre un groupe de joueurs au bord de l'implosion, un capitaine licencié dans des conditions nébuleuses, et une instance dirigeante divisée, une atmosphère glauque semble régner au plus haut niveau du tennis français masculin. Récit d'une année dont le tennis français se serait bien passé.

Benneteau, Monfils, Gasquet, Tsonga et le (désormais) ex-capitaine Arnaud Clément. Source image: Africa Top Sport

Benneteau, Monfils, Gasquet, Tsonga et le (désormais) ex-capitaine Arnaud Clément. Source image: Africa Top Sport

Vendredi 21 novembre 2014. Deux mois après sa victoire euphorique à Roland face aux double-tenants du titre Tchèques, l'équipe de France s'apprête à affronter la redoutable Suisse, qui peut compter sur la présence de la légende Federer, ainsi que de Stanislas Wawrinka, qui remportera quelques temps plus tard Roland-Garros. Quatre ans après avoir sombré dans le chaudron serbe et douze ans après la défaite douloureuse à Bercy, l'armada de Tsonga possède de nouveau l'occasion d'inscrire une dixième Coupe Davis à son palmarès. Soulever ce trophée serait, d'ailleurs, un accomplissement pour la génération dorée, entre autres, des Monfils, Tsonga, Gasquet ou Simon; celle que certains médias, dont L'Equipe, ont surnommé "Les Nouveaux Mousquetaires" un beau jour de 2009 mais qui a, depuis, du mal à justifier les attentes placées en elles.

Pour la Fédération Française de Tennis et son président, Jean Gachassin, cette finale constitue une poule aux oeufs d'or, d'autant plus que le nombre de licenciés à la FFT diminue. Pour inverser la tendance, la "Fédé" mise sur la Coupe Davis, où un sacre français demeure plus accessible qu'une victoire à Roland-Garros (Bercy, malgré son statut de Masters 1000, reste nettement moins populaire que le tournoi de la Porte d'Auteuil). Ainsi, elle voit les choses en grand pour cet évènement et choisit comme arène le stade Pierre-Mauroy de Lille, où elle pourra aménager un court sur terre battue de plus de 27000 places (un record pour la compétition). Arnaud Clément annonce sa sélection qui ne comportera pas le nom de Gilles Simon, les grands médias sportifs multiplient les articles sur le groupe France qui vit bien et qui se prépare à affronter les Suisses, la "We Are Tennis Academy", association de supporters orchestrée par la banque BNP Paribas (partenaire de la FFT), s'organise. Bref, à la veille de cette finale 2014, tout semble normal.

Cependant, ce weekend du 21 novembre, qui devait être une fête pour le tennis français, va rapidement tourner au flop . La finale s'ouvre sur le duel entre Wawrinka et Tsonga. Face au Vaudois, qui a pris une autre dimension en cette année 2014, Tsonga, lui, aborde cette rencontre dans le doute. En effet, depuis le tournoi de Tokyo, fin septembre, le Manceau ressent une vive gène à l'avant-bras droit, ce qui lui empêche de disputer sa fin de saison de manière convenable. Malgré tout, il tient à disputer cette finale, lui qui n'avait pas pu participer au voyage à Belgrade à cause d'un genou douloureux. Malheureusement, on remarque rapidement que cette douleur n'a pas disparu, puisque Tsonga ne cesse de se tenir son avant-bras à chaque changement. Au delà de la défaite en quatre sets, plusieurs questions se posent: pourquoi avoir titularisé Tsonga en sachant qu'il n'allait pas pouvoir défendre pleinement ses chances? Pourquoi ne pas avoir été plus raisonnable? Dans une récente interview à Tennis Magazine, Tsonga admet qu'il n'a pas osé se retirer de lui-même, et que sa présence ne tient qu'à la décision d'Arnaud Clément et de son staff, qui n'aurait pas tenu compte de sa blessure

Je ne me reproche qu'à moi même de n'avoir pas eu la lucidité de m'écarter de moi-même. Mais si je l'avais fait, on aurait dit exactement la même chose, que je suis un lâche. C'est de ma faute et je me le reproche, mais j'aurais aimé que quelqu'un du staffait plus de recul que moi. Qu'il ait cette lucidité que je n'ai pas eue".

Jo-Wilfried Tsonga, Tennis Magazine n°471, Janvier-Février 2016

Malgré la démonstration héroïque de Monfils face à Federer, l'équipe de France ne fera pas long feu durant cette finale. Le manque d'automatismes du double Gasquet- Benneteau a semblé impardonnable pour faire face à Federer-Wawrinka. Un coupable parfait est désigné: Arnaud Clément, qui n'aurait pas suffisamment motivé ses troupes , qui aurait mal préparé ses joueurs et qui aurait, volontairement, dissimulé la blessure de Tsonga. Les critiques ne tardent pas à venir, notamment des anciens comme Henri Leconte et surtout Yannick Noah, ancien capitaine (qui a, d'ailleurs, mené l'équipe de France au sacre en 1991 et en 1996) qui en profite pour lancer un appel du pied en arguant que personne ne l'ait appelé alors qu'il n'a pas fait le déplacement à Lille.

 

L'appel manqué de Londres

 

Malgré cette déconvenue, les Bleus doivent tout de même repartir sur de bonnes bases. Après s'être débarassée de l'Allemagne au premier tour, l'équipe de France retrouve Andy Murray la Grande-Bretagne en quarts de finale. Sa position de favorite pour la victoire finale s'est renforcée après l'élimination des Suisses, Tchèques, Américains ou Croates au premier tour. De même, Novak Djokovic n'accompagne pas les Serbes, tandis que les Espagnols continuent leur dégringolade. Il ne reste plus que des nations pas vraiment expérimentées (Canada, Belgique, Kazakhstan, Japon) ou d'autres qui ont connu une forme meilleure (Australie, Argentine). Malgré l'obstacle Murray, les Français peuvent se qualifier, notamment s'ils gagnent le double (d'autant plus que Simon et Gasquet ont atteint respectivement les quarts et demis de finale à Wimbledon une semaine avant). Après la défaite inaugurale de Tsonga face au n°2 mondial, Simon remet les pendules à l'heure en s'imposant logiquement face à James Ward. Le double s'annonce donc d'une importance capitale et pourrait presque, de cette manière, donner le vainqueur de la rencontre, ainsi que celui qui soulèvera la coupe quelques mois plus tard (ce qui, bien entendu, n'a pas raté).

Et là, le drame: plutôt que de sélectionner une paire un minimum expérimentée (comme Tsonga-Gasquet, ou Herbert-Mahut), Clément aligne Mahut et Tsonga, qui n'ont (presque) jamais joué ensemble. Après une belle résistance sur les deux premiers sets face aux frères Murray ( le frère d'Andy Murray, Jaime, est un des meilleurs joueurs de double de la planète, ndlr), les deux joueurs ont gâché beaucoup trop d'occasions pour espérer l'emporter. Cepedant, au delà du résultat, c'est l'attitude des deux joueurs qui interpellent, puisqu'on a senti qu'il manquait une cohésion entre Jo et Nicolas Mahut. Au final, les Français ont laissé passer leur chance et ont offert un gros boulevard pour les Britanniques, qui soulèveront finalement le Saladier d'Argent quelques mois plus tard. Là encore, le coaching d'Arnaud Clément est pointé du doigt, encore incapable d'extraire le meilleur de ses joueurs. Dans le même temps, une forte morosité règnerait, en effet, au sein du vestiaire français. Certains manquements auraient été observés lors de ce week-end. Nicolas Mahut, dans une interview accordée à l'Equipe, comparera, d'ailleurs, ce qu'il s'est passé au Queen's au triste épisode qu'ont connu les footballeurs français en Afrique du Sud : "Nous, on est descendu du bus, mais on a oublié les raquettes à l'intérieur"

Tsonga et Mahut. Source image: 20 Minutes

Tsonga et Mahut. Source image: 20 Minutes

Rendez-vous secret à New York et jeu d'influence des joueurs.

 

Après cette nouvelle débâcle, on voit mal comment la Fédération peut reconduire Arnaud Clément, pourtant soutenu (officiellement) par les joueurs, dans ses fonctions pour l'année 2016. Si ce licenciement paraît (presque) inéluctable, la manière dont il a été effectué (surtout pour tout ce que Clément a apporté à cette équipe, en tant que capitaine et en tant que joueur) dépasse tout entendement. Cela continue de décrédibiliser la FFT, après le nouveau arrêt dans le dossier de l'extension de Roland-Garros et l'échec dans l'appel d'offre des droits TV, qui a achevé l'ère où Roland-Garros était diffusé entièrement sur le service public. Un mois et demi après la déroute londonien, Gilbert Ysern, directeur de la FFT, se rend (avec Gachassin?) à New York, sans que Clément (ni personne d'autre, d'ailleurs, pas même les journalistes) ne le sache. En plein US Open, le dernier majeur de l'année, le directeur de Roland-Garros sonde alors les tricolores sur place pour parler du fonctionnement de l'équipe. Personne n'est alors au courant de cette visite surprise. La nouvelle viendra, comme une gaffe, de Jean-Paul Loth, consultant tennis sur Eurosport et ancien capitaine de l'équipe de France dans les années 80, et fera rapidement l'office d'une véritable bombe dans le paysage tennistique français.

Clément, alors à New York pour observer ses poulains, rentre, alors, illico à Paris et demande un rendez vous sur le champ avec Gilbert Ysern. Ce dernier lui confirme, ainsi qu'aux journalistes, qu'il avait missionné le DTN, Arnaud di Pasquale, pour comprendre les dysfonctionnements au sein de la "Team France". Quelques jours plus tard, le 11 septembre, France Info révèle que le sort de Clément est scellé et qu'il sera remplacé par Noah... avant même que le futur ex-capitaine ait pu s'exprimer avec la Fédé (!) . Deux jours plus tard, Gachassin aurait appelé Clément et lui aurait révélé implicitement que, quoiqu'il disait, son sort était déjà scellé. Pourtant, le président de la FFT nie avoir été au courant de l'avancée des différentes tractations et accuse Ysern, avec qui il entretient des rapports glaciaux, d'avoir tout dirigé sans son aval. Le 14, un semblant d'audit, possiblement organisé par Ysern, se serait tenu avant l'annonce officielle. Cette réunion, longue de deux heures, n'aurait (officiellement) débouché sur rien de concret.

Pourtant, quatre jours plus tard, conformément aux attentes, le licenciement d'Arnaud Clement et la nomination du chanteur de Saga Africa sont annoncés. Un certain nombre de joueurs, comme Gilles Simon ou Julien Benneteau, se sont montrés solidaires avec leur ancien coéquipier et (désormais) ex-capitaine, viré sans autre forme de procès. Désabusé et passablement en colère, le compagnon de Nolwenn Leroy dénonce, de ce fait, les méthodes peu scrupuleuses de la "Fédé", en décalage avec "les valeurs de la Coupe Davis" (interview complète à retrouver ci-dessous). Un sentiment d'injustice que rejoint, l'un de ses amis, Guillaume Raoux. Ancien vainqueur de la Coupe Davis (en 1996, ndlr) et membre du Bureau Fédéral au moment des faits, ce dernier a démissionné suite à la tournure qu'ont pris les évènements. Dans une lettre ouverte de démission adressée au président Gachassin, il décrit le déroulement de cette réunion comme "catastrophique": entre les pressions exercées sur certains joueurs pour qu'ils se taisent, et les nombreuses failles et fuites des réunions qui ont été divulguées dans la presse, il accable certains membres de la FFT d'intervenir dans des domaines qui ne sont pas les leurs.

Malgré la réponse de Gilbert Ysern, qui nie cette version des faits, plusieurs éléments démontrent que cette opération, qui pouvait paraître soudaine, a été longuement et discrètement mené par certains cadres de la FFT : le choix de nommer Yannick Noah remonterait, en fait, bien avant le fameux audit de la Fédé. Cadre important de l'Equipe de France, Tsonga aurait, en effet, été le premier joueur informé du futur licenciement d'Arnaud Clément, homme avec lequel il aurait entretenu certains désaccords, notamment à Londres. Le numéro dix mondial aurait, ainsi, convaincu certains joueurs, comme Richard Gasquet, de soutenir la nomination de l'ancien vainqueur de Roland-Garros au poste de capitaine, sans toutefois faire l'unanimité: d'autres, comme Gaël Monfils, Gilles Simon ou Julien Benneteau, auraient souhaité le maintien de "la Clé". De même, plusieurs éléments ont fuité dans la presse, avant même le départ d'Arnaud Clément. Par exemple, Cédric Pioline, aujourd'hui adjoint de Yannick Noah, avait révélé qu'il était en pour-parlers avec la FFT pour obtenir une place dans le futur staff de l'Equipe de France. De même, la FFT aurait contacté Amélie Mauresmo pour reprendre le flambeau, ce que la principale intéressée, entraîneuse d'Andy Murray et capitaine "miracle "de l'équipe de France de Fed Cup, a rapidement démenti.

 

Le plan de Noah

Source image: lejdd.fr

Source image: lejdd.fr

C'est donc dans ce contexte houleux que Yannick Noah reprend ses fonctions de capitaine, dix-huit ans après les avoir quittées. Le Roi Midas du tennis Français va devoir souder à nouveau son groupe pour, enfin, permettre à la France et à la génération dorée des "4 Fantastiques" de soulever le Saladier d'Argent pour la première fois depuis 2001. Depuis mi-septembre, l'homme de 55 ans se montre plutôt discret avec les médias. Dans une des rares interviews qu'il a accordée à Tennis Magazine, l'ancien protégé d'Arthur Ashe semble plus préoccupé par ce qui l'attend, plutôt que de vouloir remuer le coûteau dans la plaie. Il y expose, ainsi, sa manière de procéder en tant que capitaine, sa vision de l'Equipe de France, son organisation ou encore l'importance de son staff. Il reconnaît entre autres, avoir longtemps discuté avec les joueurs avant d'accepter sa mission et confie que l'entourage des joueurs (notamment les compagnes) aura un rôle fondamental pour lui permettre de mieux connaître ses soldats et de les guider de la meilleure des manières. De même, une de ses priorités semble de construire de vrais équipes de doubles et non assembler deux joueurs qui n'ont joué en double que durant les stages d'une semaine précédant chaque rencontre. Cependant, il sait que cet objectif de gagner la Coupe Davis doit être réalisé dans les plus brefs délais: à part Benoît Paire et Pierre-Hugues Herbert, tous les joueurs sélectionnables à ce jour auront tous 30 ans ou plus l'année prochaine. Le temps presse et pourrait bien être fatal pour ces joueurs pour qui il ne reste que quelques années à évoluer au plus haut niveau. Sous l'impulsion de Yannick Noah, les joueurs vont-ils réussir à plus se transcender? Est-ce que l'Equipe de France de Coupe Davis ressemblera à nouveau à un tout, et non plus à une somme d'individualités? La FFT va t'elle arrêter de paraître amateure aux yeux des Français et rattraper son retard? Tout passionné de tennis qui se respecte a envie d'y croire. Alors, finies les conneries, au boulot maintenant!