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Le Court Central
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Ode à Lleyton Hewitt, la dernière légende du tennis pleinement humaine

Ode à Lleyton Hewitt, la dernière légende du tennis pleinement humaine

Après plusieurs années gâchées par des blessures, la légende australienne Lleyton Hewitt a pris sa retraite lors du dernier Open d'Australie. Joueur au charisme débordant, exemple même du mot "fighting-spirit", l'ancien numéro un mondial a fait vibrer n'importe quel amateur de tennis dans le monde. Surtout, il s'agit du dernier vestige d'une période charnière entre le règne de Sampras et d'Agassi et celui du trio Federer-Nadal-Djokovic. Hommage à un joueur qui mérite le respect.

Ode à Lleyton Hewitt, la dernière légende du tennis pleinement humaine

4 heures 33 du matin. A cette heure-ci, que vous habitiez à Paris, Djakarta ou Melbourne, pas grand chose s'offre à vous. Les rues silencieuses ressemblent à des artères sans thrombus où les seuls leucocytes que vous pouvez croiser sont des vagabonds ou des jeunes émêchés qui sortent de boîte de nuit. Le calme règne dans les maisons où la seule musique audible est crée par les soupirs aigues et les ronflements graves de votre sommeil. Le bruit du papier journal et l'odeur du pain et des pâtisseries n'ont pas encore mis à contribution votre odorat et vore ouïe. C'est un fait acquis, un paradigme: la nuit, à 4 heures 33 du matin, la grande majorité de la population qui compose cette planète dort, ignorant complètement les joies auxquelles peuvent s'adonner la minorité encore éveillée. Pourtant, à Melbourne, le 20 janvier 2008 à 4 heures 33 du matin, cette majorité a eu bien tort d'être assoupie. Elle n'a pas pu, en effet, assister au combat dantesque et lumineux qui vient de s'achever sur la Rod Laver Arena. Elle n'a pas pu être réveillée par l'ultime "come-on" rageur et soulagé de Lleyton Hewitt, qui vient de venir à bout du finaliste de l'avant-dernière édition d'alors du tournoi, le chypriote Marcos Baghdatis; ce "come on" en signe d'exultation après un bras de fer long de cinq heures et autant de sets, pendant lesquelles l'Australien, déjà sur le déclin, n'aura pas ménagé ses efforts face à un adversaire qui lui en aura fait voir de toutes les couleurs. Comme une seconde peau, ce "come on", expression anglophone courante de seulement deux mots, a accompagné Lleyton Hewitt partout: de ses débuts à Adélaïde à sa retraite à l'Open d'Australie, de son règne sur le tennis mondial aux années de vaches maigres. Ainsi, si Lleyton Hewitt a alterné les extrêmes tout au long de sa carrière, seul son come-on (et sa casquette retournée) a demeuré intact.

Des débuts tonitruants...

 

Ce qui est terrible d'écrire, c'est d'affirmer qu'à presque 27 ans, Lleyton Hewitt était déjà sur la pente descendante de sa carrière. Pourtant, quelques années auparavant, tout destinait Hewitt à accomplir une carrière au palmarès hors-norme. Né en 1981 à Adelaïde, le dernier n°1 mondial australien a débuté sa carrière professionnelle, en affrontant Sergi Bruguera à seulement 15 ans, avant de remporter son premier titre sur le circuit un an plus tard. Au même âge, certains connaissent leurs premières désillusions sur le circuit junior et entèrent, déjà, leurs rêves de grandeur. Rapidement, son jeu de contre interloque autant que sa vision du terrain détonne. Son revers prend déjà à la gorge ses adversaires et trouve des angles imparrables. Si ces performances en Grand Chelem deviennent de plus en solides, il faudra attendre la fin de l'année 2000 et l'US Open pour voir "Rusty" faire un gros coup en se hissant en demi-finale et tomber avec les honneurs face à Pete Sampras. Un an plus tard, deux jours seulement avant la tragique journée du 11-Septembre, Hewitt prend sa revanche sur son adversaire américain et soulève le premier Majeur de sa carrière. Cela marque le début de l'ère-Hewitt: trois mois plus tard, à seulement 20 ans et 8 mois, il remporte le Masters et devient le plus jeune n°1 mondial de l'histoire du tennis. 2002 marquera l'apogée de sa carrière: malgré son style de jeu défensif décrié par les amateurs de tennis à l'époque, il empoche le tournoi de Wimbledon face au surprenant David Nalbandian. De même, il ne cédera jamais sa place sur le trône du tennis mondial au cours de cette saison, qui l'a également vu briller à Indian Wells ou au Masters. Cette performance constitue une première depuis Pete Sampras en 1997.

Ode à Lleyton Hewitt, la dernière légende du tennis pleinement humaine

...A une chute précoce et inexorable

 

Cet état de grâce a duré 80 semaines. Cependant, les années qui vont suivre vont, malheureusement, marquer une régression de Hewitt dans la hiérarchie mondiale. Malgré deux saisons solides dans le top 5 en 2004 et 2005 (et une finale à l'Open d'Australie au cours de cette dernière), l'Australien se voit déjà évoluer dans l'ombre du nouveau maître du tennis mondial, Roger Federer. Le Suisse, impérial, lui montre régulièrement qu'il est le seul patron sur les courts: cela a été, notamment, le cas en finale de l'US Open 2004, au cours de laquelle il n'a concédé que 6 jeux à l'ancien numéro 1 mondial. A partir de ces années-là, Lleyton Hewitt ne sera abonné qu'aux coups d'éclats comme en 2014, où s'il est octroyé l'avant-dernier titre de sa carrière en venant à bout de Roger Federer. De ces années difficiles naîtront l'image attachante d'un perdant magnifique, d'un joueur qui peut perdre un match en mettant toutes ses forces jusqu'au dernier point du match. Par exemple, en 2009, alors qu'il se trouve hors du top 50, il manque de peu de rejoindre le dernier carré de Wimbledon après une bataille épique perdue en 5 sets face à Andy Roddick. Ou encore en 2013, où il élimine Juan Martin Del Potro au deuxième tour de l'US Open, avant de tomber, très honorablement, en huitièmes de finale face à Mikhail Youzhny. 

L'homme qui a conquis (presque) toute l'Australie

 

L'annonce de la retraite de Hewitt lors de cet Australian Open 2016 a mis au grand jour son attachement pour son pays. En effet, nombreux sont les joueurs dont le clap de fin de carrière a lieu au mois de novembre, lorsque la saison s'achève. Cependant, le natif d'Adélaïde a tenu à prolonger son périple tennistique de quelques semaines. Arborant une tenue aux couleurs de son pays, il a effectué une préparation physique semblable à celle qui'il a faite il y a 15 ans et a terminé sa carrière à Melbourne, dans une enceinte qu'il n'a jamais su dompter. Car, si le compagnon de la comédienne Rebecca June Hewitt a remporté son premier titre à Adelaïde, un Masters à Sydney, et d'autres titres dans la ville du célèbre opéra et à Brisbane, il n'est jamais parvenu à atteindre le Graal: devenir le premier joueur australien depuis 1976 à soulever un . Tout au long de sa carrière, Lleyton a semblé maudit lors du Grand Chelem de l'Océanie, même à l'apogée de sa carrière. Ainsi, en 2002, alors qu'il règne sans partage sur le circuit, il tombe d'entrée, de manière inexplicable. La seule fois où il a dépassé les huitièmes à Melbourne a été en 2005. Cette année-là, la star locale voulait enfin être titré chez lui. Pour cela, il s'était surpassé et était sorti vainqueur de matchs très tendus, comme face au jeune Rafael Nadal en huitièmes, ou face à David Nalbandian en quarts. Néanmoins, lors de l'affrontement final face à Marat Safin (qui avait sorti Federer, en demi-finale, au terme d'un match renversant), il ne tiendra que 25 minutes, avant que l'ancien Casanova des courts ne douche les espoirs de toute une nation.

Ode à Lleyton Hewitt, la dernière légende du tennis pleinement humaine

Enfin, ce qui est intéressant de constater dans la carrière de Hewitt, c'est qu'elle suit la même trajectoire que l'avancée tennis australien lors de ces vingts dernières années, notamment en Coupe Davis. En effet, à la jonction des années 90 et des années 2000, l'Australie se montre irrésistible en Coupe Davis. Menée par des joueurs légendaires comme Pat Rafter, Mark Philippoussis, la paire Woodford-Woodbridge et Lleyton Hewitt, la délégation australe a participé à quatre finales entre 1999 et 2003. Elle s'impose, d'ailleurs, à Melbourne Park en 2003 face à l'Espagne, quatre ans après le récital niçois de Philippoussis face au français. Cependant, après la retraite de Rafter et la sérieuse baisse de régime de Philippoussis, aucune relève n'a pointé le bout de son nez. Ainsi, Hewitt a du porter la deuxième équipe la plus titrée de l'histoire de la compétition à bout de bras. Seul et en déclin, l'ancien n°1 mondial n'a pu empêcher son équipe de descendre en deuxième division en 2007 et d'y végéter jusqu'en 2014. Conscient de la situation embarrassante d'une des nations les plus importantes de l'Histoire du tennis, Lleyton Hewitt n'a cessé, ces dernières années, de prendre ses jeunes coéquipiers sous son aile. Ainsi, il a, souvent, conseillé Bernard Tomic en marge de rassemblements de Coupe Davis. Plus récemment, le jeune chien fou du tennis australien, Nick Kyrgios, a bénéficié du coaching de Hewitt lors de la dernière tournée estivale américaine. Sa nomination au poste de capitaine de l'équipe de Coupe Davis apparaît comme une évidence et ne constitue qu'un prolongement logique de sa brillante carrière. On espère qu'il saura transmettre sa ténacité, son intelligence du jeu à des joueurs comme Tomic, Kyrgios ou Kokkinakis, afin qu'ils progressent encore plus et qu'ils confirment les espoirs qui sont placés en eux. Surtout, le principal enjeu du mandat de Hewitt sera de canaliser ces jeunes joueurs, qui peuvent se montrer parfois dilettante ou arogants, de la même manière qu'il est lui-même devenu humble. Car Lleyton n'a pas été un enfant de coeur lors de ses jeunes années sur le circuit, loin de là.

Ode à Lleyton Hewitt, la dernière légende du tennis pleinement humaine

Une image contrastée, comme toute légende qui se respecte. 

 
Après sa défaite face à David Ferrer qui marque la fin d'une carrière atypique, Hewitt a reçu un hommage vibrant et unanime de tous les acteurs du tennis: des joueurs (voir vidéo ci-dessous) aux simples spectateurs, en pasant par les journalistes et les dirigeants des grandes instances, tous ont salué l'immense carrière du natif d'Adélaïde et son état d'esprit combattif. Cependant, comme toutes les légendes du tennis, l'Australien a cultivé l'art de se créer, également, des détracteurs . En effet, une telle reconnaissance peut paraître paradoxale car, lors des premières années de sa carrière, il a été assimilé à la tête à claques du circuit. En effet, en plus d'avoir remporté Wimbledon avec un jeu défensif, le nouveau capitaine de l'équipe de Coupe Davis australienne a cumulé les casseroles au début des années 2000: connotations aux relents racistes dans une remarque destinée au joueur américain James Blake à l'US Open 2001, accrochage avec le public australien, attitude méprisante envers certains adversaires et journalistes (Yannick Cochennec, plume respecté dans le milieu du tennis, l'a qualifié d "imbuvable" et d' "impayable" dans un tweet), apparition dans le soap "Hartley Coeur à Vif" (heureusement oubliée aujourd'hui). Cependant, il a réussi à murir  et, au fur et à mesure, sa capacité à ne rien lâcher, ses nombreuses et longues batailles sur les courts et son envie de jouer aussi longtemps au plus haut niveau ont suscité l'admiration du public du monde entier. Si bien qu'aujourd'hui, ce sont ces dernières qualités qui resteront, à jamais, associées au dernier n°1 mondial australien. Quoi qu'on en dise, "Rusty" va bien nous manquer.